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monnaie fondante
4 janvier 2009

réponse à Jerôme Blanc

Bordeaux, le 4 janvier 2009

Cher Monsieur Jérôme Blanc,

J’ai pris connaissance avec plaisir que vous êtes un universitaire qui s’intéresse aux analyses monétaires des geselliens, et tout récemment à l’ouvrage d’Helmut Creutz « Le syndrome de la monnaie », publié initialement en allemand en 1993 et réédité plusieurs fois depuis.

Je connais bien cet ouvrage ainsi que l’ouvrage de Silvio Gesell « Die natürliche Wirtschaftsordnung durch Freiland unde Freigeld ».

La traduction française en avait été faite en 1948.

Si vous n’avez pas cet ouvrage, je me ferai un plaisir de vous en offrir un exemplaire, cadeau !

L’engagement « moral » est pour vous de le lire et de me faire part de vos observations…

J’ai vu aussi sur votre présentation sur Internet que vous vous intéressez à la question des monnaies locales, SEL etc.

En ce qui me concerne, je ne suis pas économiste de formation, mais, lecteur de Gesell et orienté par cette pensée, il me semble que les questions monétaires trouvent un éclairage spectaculaire et révolutionnaire par cet apport. Je suis psychiatre et psychanalyste, et je suis sensible à cette nouveauté radicale encore largement méconnue qu’est la pensée de Gesell. Il s’agit pour d’un discours nouveau en sciences économiques.

J.M.Keynes le reconnaissait partiellement en son temps, ainsi qu’Irving Fisher.

Pour ma part, je crois qu’il faut aller plus loin, et les « critiques » qui sont opposées à ces approches me semblent chaque fois un peu décevantes, celles de Keynes déjà, mais la vôtre aussi.

J’essaye donc de vous répondre comme je l’ai déjà fait de nombreuses fois et en d’autres lieux. Je vous indique aussi mon blog http://monnaiefondante.canalblog.com/

que j’ai ouvert depuis octobre 2008 et qui comporte divers liens aussi !

Pour en venir à votre critique,

J’ai relevé plusieurs points sur lesquels je dois vous répondre avec des arguments économiques, rassurez-vous !

1)      Je pense comme vous que Helmut Creutz aurait pu affirmer davantage sa proximité avec Silvio Gesell, et il le fait tout à fait dans ses relations personnelles et dans d’autres textes. Cela dit, et puisque Gesell est le « prophète injustement méconnu » (Keynes), les geselliens, plus nombreux en Allemagne qu’en France, redoutent toujours d’être « ridiculisés » et diffamés en se référant à cet auteur. Cet injuste et indéfendable et tout à fait à bannir dans un débat d’une telle importance. Vouloir créer un ordre économique, non pas « naturel » bien sûr, mais fonctionnant sans crises systémiques à répétition ne mérite quand même pas d’être tourné en dérision ! Il ne semble pas que l’ordre capitaliste actuel soit tellement « satisfaisant pour s’en faire le défenseur a-critique ! Ce que vous n’êtes pas, manifestement, le fait même de vous intéresser à cette pensée l’indique.

2)      Oui, vous avez également bien lu, à mon avis, en disant qu’Helmut Creutz distingue clairement entre « monnaie » et « avoir monétaire » ! Cette distinction ne vous semble cependant pas pertinente, car vous maintenez, comme l’immense majorité des économistes de toute tendance, que les banques participeraient sur un mode décentralisé à la « création monétaire », en tout cas en créant les liquidités nécessaires au fonctionnement de l’économie réelle. Si vous êtes d’accord, ce point devra faire l’objet d’autres débats largement abordés ailleurs aussi. Toujours est-il que nous n’aurions ni « crise de confiance » ni affaire « Madoff » si les banques et autres institutions financières pouvaient « créer ex nihilo » de la monnaie ! Quand cela se fait, disons en pratique, cela implique toujours un forçage du système et une participation de la banque centrale ! Sans la banque centrale, cela ne se peut en aucune façon !  Car les banques doivent absolument se refinancer dans le même mouvement par lequel elles accordent un crédit. Cela me semble être une question de bon sens. « Les créances font les dépôts », cela est trop vite dit. Elles font les « dépôts » du débiteur, mais le créancier (l’épargnant de la même banque ou d’une autre) se retrouve dessaisi du même montant aussi longtemps que la dette n’est pas éteinte ! L’épargnant ne dispose pas de l’argent en même temps que son débiteur, évidemment. Par contre, il touche les intérêts contractuellement prévus, comme la rente du temps. En ce qui concerne la banque centrale, elle intervient en accompagnant l’expansion économique en injectant au besoin des liquidités supplémentaires sous forme de billets et aussi sous forme de « monnaie girale  centrale » accessible aux réseaux bancaires. Et cette création est toujours une promesse crédible d’un remboursement liquide sur simple demande de la part d’un déposant. Et cela fonctionne, évidemment, tant que tous ne viennent pas en même temps se faire remettre l’argent liquide, ce qui ne devrait guère se produire…

3)       Je suis d’accord avec vous pour souligner que le problème central soulevé par ce livre concerne l’intérêt de la monnaie, comme c’est déjà, en fait, le problème soulevé par Gesell et, à sa façon, et par Keynes certainement inspiré par Gesell. C’est vrai aussi que la remise en cause du système monétaire depuis la renaissance (en fait, depuis la nuit des temps –vous lirez là-dessus par exemple la fin de l’ouvrage de Gesell et sans doute des auteurs historiens de l’antiquité déjà !) ne me semble pas manquer de pertinence. Si, en effet, l’interdit papal de l’intérêt au Moyen Age peut être déclaré comme une référence « morale » et « chrétienne », on le retrouve aussi dans l’Islam,  vous reconnaissez néanmoins que cela n’est pas pour Helmut Creutz, ni pour Gesell, ni pour moi, d’ailleurs, ce qui peut principalement justifier la remise en cause de l’intérêt. Ce qu’en dit Margrit Kennedy (gesellienne aussi) est tout aussi juste en soulignant que ce système ne saurait fonctionner d’une façon stable très longtemps.     Vous citez  Creutz : «il s’avère que ce n’est pas la pratique des intérêts en elle-même qui pose un problème mais la possibilité de pouvoir retenir des fonds et de provoquer une pénurie de liquidité ». C’est vrai que Gesell et Keynes le disent avec leurs mots aussi : « la préférence pour la liquidité » génère, en effet, selon Gesell et Keynes, un taux d’intérêt (Urzins chez Gesell, taux monétaire net chez Keynes) réel basique, sans doute de l’ordre de 2 à 3% annuels. Et c’est « puissant » comme vous dites ! Ce qu’il convient d’ajouter ici c’est ce qu’avait observé Gesell à ce sujet. D’ailleurs, Gesell s’est inspiré (un peu) de Proudhon qui, avec ses banques d’échanges, avait voulu également s’attaquer à ce nœud. Proudhon a échoué, comme on sait, car il avait voulu « élever la marchandise au rang de la monnaie », et cela ne marche pas pour la bonne raison que la marchandise (les biens et services) est soumise à l’usure du temps, et que rien n’y peut rien. Dans tous les cas, la marchandise (biens et services) subit une altération, dégradation, usure du temps. Cela s’applique aussi à tous les biens d’équipement, et cela prend le nom d’amortissement (mise à mort). Cela s’applique aussi au vivant, évidemment ! Or, il en va autrement de la monnaie, et c’est sur cela que Gesell insiste ! En prenant sa racine dans l’or, substance « éternelle », la monnaie actuelle fonctionne toujours avec cette même fiction nominale d’éternité qui en fait que la monnaie est à la fois échangeur universel en établissant les prix des choses mais aussi valeur refuge liquide dont le détenteur peut refuser son service en ne s’en séparant pas dès que la « confiance » est entamée ou quand son détenteur en a thésaurisé beaucoup, au point de manquer à la circulation. La fonction même du système bancaire est, à la base, le maintien en circulation, vaille que vaille, de la monnaie ! La référence à l’or est abandonnée depuis 1971 (Nixon liquide les accordes de Bretton Woods d’un trait de plume, tant mieux !). Et c’est ainsi qu’il convient de comprendre la nécessité d’introduire la monnaie nouvelle selon l’idée gesellienne, à savoir la monnaie dite « fondante » ou « estampillée », encore appelée « monnaie franche » (Freigeld en allemand). Je proposerais : « monnaie anticrise », mais peut importe le nom ! Keynes disait que « cette idée est juste… » . Pour maintenir la monnaie en circulation et pour maintenir (mal) fermée la « trappe aux liquidités », les banques doivent proposer un intérêt aux déposants, sans quoi, ils ne sont pas incités à confier leur précieux bien à la banque qui en fait je ne sais quoi. Il fallait aussi, depuis 1945,  maintenir un système d’inflation contrôlé, sans quoi, nous aurions eu déjà des périodes de déflation assez ravageuses, toujours liées à des rétentions excessives de monnaie liquide. Voyez-vous circuler beaucoup de grosses coupures ? (les 500 FF avant, les 500, 200 et 100 Euros maintenant) ? Elles ont pourtant été émises pour de montants impressionnants : entre 100 et 200 Milliards d’Euros au moins ! Pour ne servir … à rien, sauf à être thésaurisées. Il s’agit donc d’un paradoxe insoluble que de maintenir la monnaie telle qu’elle est et de stabiliser le système économique ! La monnaie telle qu’elle est est le capital originel, tous les autres biens dits « capitaux » ne sont « capitaux » que s’ils sont maintenus dans une relative rareté du fait que la monnaie peut être soustraite à son usage, à savoir l’organisation des transactions ! Réformer la monnaie au sens gesellien reviendrait à maintenir l’économie marchande dans toute son efficacité tout en supprimant la contrainte capitaliste génératrice des crises économiques, écologiques et sociales. Je reviendrai sur ces points dans d’autres échanges, si vous y consentez. La pensée gesellienne sépare strictement économie de marché de économie capitaliste exerçant sa contrainte sur le marché au point de l’abolir en établissant des oligopoles.

4)      « Les taux d’intérêt nominaux sont-ils la variable pertinente ? » J’y ai répondu partiellement au point précédent. Il ne me semble pas cependant qu’Helmut Creutz vise cela, car il dit quand même que le problème subsiste même en période de taux bas, il est simplement bien plus aigu en période de taux hauts, car les salaires auront toujours du mal à suivre les ajustements inflationnistes à l’origine des taux élevés. De plus, quand les taux (et l’inflation) baissent dans un deuxième temps, un certain nombre d’acteurs (entreprises) se retrouvent déstabilisés du fait qu’ils doivent payer les intérêts contractuels liés aux taux élevés. En tout cas cela génère des distorsions du marché difficilement justifiables.

5)      « La centralisation est-elle la solution ? » Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire là ! Selon la thèse de Creutz et des geselliens, la monnaie est émise par la banque centrale, cautionnée par l’état, et nous ne nous distinguons pas sur ce point de la grande majorité des économistes ! La monnaie est régalienne ou n’est pas ! L’économie est monétaire ou n’est pas ! L’institut d’émission, dit indépendant des gouvernements, n’est pas réellement en cause dans ce que vise H.Creutz  (il faut que je relise…), me semble-t-il. L’émission de toute monnaie procède déjà aujourd’hui de la banque centrale, et elle en émet, souvent contrainte, surtout en temps de crise systémique. Creutz récuse effectivement la « création décentralisée de monnaie », non pas parce qu’elle se pratiquerait – c’est impossible sans participation de la banque centrale ! – mais parce qu’il doit souligner encore et encore cela, car cette croyance est répandue dans les universités comme la croyance, jadis, que la terre serait plate ! Les monnaies alternatives sont effectivement « fragiles », car il leur manque précisément le sceau de l’état ! D’où le manque d’acceptation par les agents…

6)      « Peut-on cesser de pousser à la croissance en renversant le système des intérêts » Excellente question ! Il se trouve que sans la contrainte capitaliste, l’économie marchande pourra se déployer efficacement en organisant une redistribution plus satisfaisant entre capital et travail, et cette meilleure redistribution pourrait inciter certains travailleurs à travailler moins tout en ayant des revenus qu’ils jugent suffisants pour eux-mêmes. A ce moment-là, une économie de plein-emploi (sans chômage involontaire) deviendra réalité assez rapidement, même avec un taux de croissance nul. La reproduction du PIB identique d’une année sur l’autre (croissance nulle) sera suffisante pour maintenir le niveau de vie de tous, mais nous assisterions sans doute à une redistribution telle que les grandes fortunes financières devraient « fondre » lentement : les milliardaires s’appauvriraient (un peu). Keynes appelait cela « l’euthanasie douce des rentiers ». L’accélération de la circulation monétaire aura pour corollaire, évidemment, une réduction plus ou moins drastique de M1, car les liquidités excédentaires reviendraient, via les banques, à la banque centrale pour destruction ! Car n’oublions pas que cette monnaie « rapide » réalisera la formule classique P=M*V où V est maximale, soit 1, et le prix dépendraient effectivement directement de la masse circulante. Une hausse des prix impliquerait dès lors que M est trop grand et devra être réduite via la banque centrale, en jouant sur les réserves obligatoires et le Réfi par exemple. Encore une chose : il ne s’agit pas de « bannir » les intérêts autoritairement, mais la réforme gesellienne aura pour effet de les ramener lentement vers zéro, sans inflation ni déflation (sans ouverture de la trappe aux liquidités). Pousser à la croissance sera devenu totalement inutile pour maintenir la prospérité de tous. Sur le plan écologique, des initiatives deviendront possibles économiques qui ne le sont guère actuellement. Je vous en dirai plus prochainement, si vous voulez bien.

7)      « L’argumentation gesellienne est-elle encore pertinente aujourd’hui ? » Je dirais : Plus que jamais !  Il ne me semble pas que « l’argumentation gesellienne » serait  «fondé sur un système monétaire largement hors banque, autrement dit une monnaie dont la forme manuelle a un rôle important. »  Je rappelle que Gesell était un homme d’affaires avisé, notamment en Argentine, et il connaissait parfaitement les rouages des affaires ! S’il insiste tant sur l’importance du numéraire, cela vient du fait qu’il a parfaitement analysé la fonction « clef de voûte » qu’incarne le numéraire. Cela reste encore vrai aujourd’hui où la monnaie liquide est la seule à éteindre immédiatement toute dette. Tous les autres moyens de paiement ou instruments financiers ne tiennent que par la confiance que nous inspirent les billets ! Gesell expose dans le détail comment se répercuterait sa réforme sur l’ensemble du système financier de son époque, et cela reste parfaitement valable pour une application actuelle ! Je me suis amusé même de construire une monnaie anticrise actuelle que je vous exposerai volontiers prochainement.

8)      « Simplifications abusives ? » Peut-être. On peut effectivement se montrer là plus prudent ! Ceci dit, les conséquences liées aux déstabilisations économiques qu’engendre le capitalisme au moins tous les trente ou quarante ans ou même plus souvent constituent néanmoins toujours une réelle menace pour l’équilibre social, politique et écologique.

En vous remerciant de l’attention que vous pourrez porter à ce message, Johannes Finckh, Bordeaux.

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